Antoine Marcel

Antoine Marcel est un ermite : dessin d'ermitage taoïste

Antoine Marcel (né en 1949) est un fin connaisseur des cultures asiatiques, notamment le taoïsme chinois et les bouddhismes chan chinois et zen japonais. S'il a reçu le zen de Jacques Brosse, il y a aussi chez lui la filiation de cœur et d’esprit avec le beat-zen : Jack Kérouac et surtout Gary Snyder ; mais aussi le méditant-poète Kenneth White.

Après avoir beaucoup voyagé, créé des bonsaï ainsi que des jardins d'influence extrême-orientale, il est désormais retiré au creux boisé de quelque vallon du Massif central où vivant en ermite-lettré, il s'adonne à l’étude, la méditation, la marche et l'écriture, tout en « portant de l'eau et coupant du bois ».

Il ne semble pas y avoir de photo publique d'Antoine Marcel. Un signe parmi d'autres de quelqu'un qui pratiquerait authentiquement « effacer les traces » ?

 

Lignée Taisen Deshimaru

 

Quelques ouvrages

Quelques extraits

• Un être qui ne cesse d’apparaître

L'impermanence elle-même est la nature de bouddha.

Seule l'impermanence est immuable.

Le moment présent transcende complètement l'avant et l'après.

Un moment n'est rien d'autre qu'un être qui ne cesse d’apparaître.

Le moment auquel vous vous attachez n'est déjà plus que l'idée que vous vous faites du moment. Le moment réel est constamment en action, il surgit, il disparaît, il apparaît. Dans le bouddhisme, c'est ce qu'on appelle le vide.

La nature originelle de la conscience humaine est exactement comme une chute d'eau, sereine et tranquille en même temps que dynamique.

 

page(s) 39-40
• Une philosophie de la nature sans philosophie

En Amérique, la philosophie populaire de la nature est une philosophie sans philosophie. Les rudes garçons comme Thoreau jugent sans doute que tant d'intellectualisme est indigne de l'homme des grands espaces ou, selon l'expression de Stevenson, du « Grand Dehors ». C'est en cela, malgré quelques malentendus, que la pensée de la nature américaine est assez proche de celle du zen.

page(s) 74
• Une lumière toujours là

Les pāramitā sont comme les éclats de toutes les couleurs du spectre d'une lumière toujours là, dont nous avons simplement oublié la présence évidente.

page(s) 18
• « Porter de l’eau & couper du bois »

Pang Yü, le plus célèbre laïque du chan, vécut sous la dynastie Tang. Ayant étudié la voie bouddhique auprès des plus grands maîtres de son époque, Shitou Xiqian et Mazu Daoyi dont il reçut la transmission officielle, il se rendit rapidement compte de la vanité des biens terrestres, mais des connaissances livresques de la tradition confucianiste aussi. Après avoir coulé tous les livres de sa bibliothèque au milieu du fleuve, accompagné de sa fille Lingzhao, il partit sur les routes de Chine, vivant de la confection et de la vente de paniers en bambou. Leur vie rocambolesque, magnifiée, a été racontée dans le Recueil de paroles de Pang le Laïc.

Après Pang, « Porter de l’eau & couper du bois » est devenu une expression désignant la façon zen de vivre une spiritualité entièrement tournée vers l'immédiat, et donc non tributaire du port de l'habit et de la tonsure, ni d'aucune institution.

page(s) 24
• « Droit, l’arbre est promis à la scie ; droit, l’homme est promis à la pauvreté »

Si l'on en croit le Zhuangzi et le Liezi, seul l'arbre situé à l'écart au profond de la montagne, tordu ou creux pour avoir brûlé, frappé par la foudre, du fait de son inutilité est épargné par la hache des hommes et peut atteindre un âge vénérable. Droit et fort, l'homme jeune est promis à la conscription et à la guerre, au travail comme à tous les asservissements. Que l'homme droit soit promis à la pauvreté comporte deux aspects. L'un, constat cynique, l'autre, jugement moral à rebours, célébrant l'honorabilité d'une pauvreté intègre.

page(s) 20
• Sans inscription corporelle, la pensée n’est rien

Reste à savoir dans quelle mesure ces interfaces qui ne s'adressent qu'au mental [mail, tweet], tout en délivrant du sens, ne sont pas source d'une illusion et d'une aliénation supplémentaire. En effet, tous ces inputs d'information digitalisés sont au risque de contribuer à un clivage, voire une schizoïdie du corps et de l'esprit.

C'est précisément celle-ci qui laisse croire aux tenants du transhumanisme que l'on pourra un jour, très bientôt, ils avancent des dates, transférer l'humain dans les circuits de super-machines. C'est se méprendre, en croyant, à la suite des penseurs des Lumières, que l'homme est pensée, que l'homme est cognition. Mais en réalité, sans inscription corporelle, la pensée n’est rien et la vie n'existe même pas.

page(s) 52-53
• Joie profonde

Je reprenais la lecture de Han Shan. Au fond de la tristesse, il existait quelque chose de transparent et d’inaltérable qui semblait pouvoir être la source d’une joie profonde, qui résistait au froid, à la pauvreté, à la solitude, à tout. Parfois il me semblait l’apercevoir. Cette joie profonde, bizarrement, pouvait coexister avec la tristesse. Han Shan était triste, parfois, et parce qu’il acceptait sa tristesse, sa tristesse semblait devenir limpide. L’eau du torrent est glaciale, joie profonde !

page(s) 27
• Ne saisissant rien

À la vue d'une branche qui balance, de feuilles s'envolant au vent d'automne, au son d'une cloche, il saura que ne saisissant rien il n'en possède pas moins une richesse inestimable, celle de l'ainsi-venu ô combien plus précieuse que tous les avoirs de l'ego !

page(s) 14
• Un bel environnement élève l’âme

[C]e que les hommes font de l'environnement de leur maison témoigne de leur vision du monde. On y voir trop souvent, hélas, peu de culture botanique ou architecturale, peu d'imagination. Un pauvre conformisme. Le paysagiste, le pépiniériste sont passés par là, incitant à planter sans discernement ce que l'on voit partout.

Il n'en faut pas beaucoup pour faire le monde beau, pourtant. Un bel environnement élève l’âme. On s'y sent à sa place et en paix. Mais le langage tacite, tenu par le paysage autour des maisons, quand on le décrypte et l'énonce, est trop souvent déplaisant. Il signifie le rejet, l'égoïsme, la vanité. L'agressivité parfois. Ne dites pas que c'est là une question de budget, d'inégalité sociale. Promenez-vous à pied dans les villages de l'île de Bali, dans les derniers quartiers de bois de la vieille Chine ou du Japon, vous m'en donnerez des nouvelles.

page(s) 34-35
• Au-delà des nuages dans le vaste ciel

Sans illusion, pas d'éveil. Durant la première période Tang, avant que ne s'implantent de grandes communautés, les moines périgrinaient de montagne en montagne, de maître en maître. Aucun écrit ne pourra jamais restituer la réelle teneur de l'expérience de ces hommes en chemin, pour qui la fatigue, l'espoir, la frustration étaient sans doute les prémisses nécessaires – lorsqu'à peine arrivé le vieux maître en place leur jetait toutes leurs illusions à la face comme un baquet d'eau froide – à une percée au-delà des nuages dans le vaste ciel où tout mouvement devient immobile.

page(s) 62
• Au plus profond de l’expérience immédiate, plus empêtré avec soi-même

Par implicite on pense communément qu’une philosophie bien maîtrisée mènerait à la sagesse. La sagesse orientale procède autrement. Son idée est d’aller au plus profond et au plus subtil de l’expérience immédiate. Ce n’est qu’une fois l’expérience de l’ultime faite qu’elle développe sa philosophie comme un long commentaire. Asseyez-vous, abandonnez le corps et l’esprit (l’ego), dit-elle, et vous verrez ce qu’il en est. Ou bien partez bâton en main sur ce sentier qui mène parmi les pins à une cascade. Dans la senteur de résine et le bruit du torrent, vous réaliserez naturellement, spontanément, automatiquement, ce qu’il en est, pour peu que votre promenade coïncide avec un de ces rares moments où vous n’êtes pas empêtré avec vous-même.

page(s) 169
• Notre nature intacte et originelle

Le bouddhisme indien, assez indifférent à la nature, au contact de la sensibilité taoïste, en Chine, devient doctrine de l'immanent, aussi la représentation picturale peut-elle devenir l'expression de l'expérience intime de la siccité (ou ainsité, traduction du sanskrit tathatā), vraie nature silencieuse et immuable de toutes choses qui n'apparaît dans l'esprit du sage que lorsque – en son plus intime – il a fait place au silence. Dans ce silence, miroir originel et équanime de l'esprit, la branche de pin se reflète comme à la surface limpide de l'eau glacée des montagnes. Dans cette eau immobile où se mire la branche du pin, les nuages – que rien ne retient – à leur gré défilent librement. […]

Joie intime de la paix retrouvée en un fond des montagnes qui est aussi un fond de nous-mêmes, notre nature intacte et originelle.

page(s) 55-56
• Retour à l’informe

Les mutations profondes semblent parfois nécessiter le préliminaire d’un retour à l’informe, c’est la loi de la métamorphose. Cesser de se raser ou couper ses cheveux, se couvrir de vieux habits ou revêtir une robe de loques sont les signes d’une mort à l’ancienne image que l’on avait de soi-même et qu’on voulait donner aux autres. Loin de la société des hommes, pour un temps, on s’exonère de leur approbation. Sans le miroir du regard d’autrui, il est plus facile de changer. On est seul face à soi-même, disponible.

page(s) 24
• Dans leur dimension véritable

Austérité, simplicité, naturel. Asymétrie, patine, respect. Imprégné de l’esprit des lieux, la beauté d’une fleur unique dans un vase, un geste, le son d’une cloche se révèlent dans leur dimension véritable.

page(s) 37
• Accordé au cours des choses selon le sans-penser

Ce que l'école Huayan pense dans les termes d'une totalité binaire, l'homme du chan renonce à le penser d'une façon théorique ou abstraite. Héritier du taoïsme, il s'accorde au cours des choses selon le sans-penser. Cette union vide à la vacuité d'un monde non pensé est une adhésion au principe même du vivant. Ceux qui, dupes du langage objectivant, ne comprennent pas intimement cette réalisation sans sujet ni objet la conçoivent comme une « fusion », mais ce terme est trompeur. Là où le sage se libère automatiquement du percept au profit de l'état primordial du sans-penser, ils sont restés enfermés dans la pensée pensante et donc dans l'aliénation à leur nature foncière.

page(s) 68
• La vérité est ineffable et intransmissible

L'hôte, l'ermite, est celui qui sait que la vérité est ineffable et intransmissible. Sa réponse, c'est la cabane au simple loquet de bois, laissée vide, c'est l'absence. Ici bouddhisme et taoïsme utilisent le même mot : [idéogramme chinois] kong, le vide. Le visiteur confronté au vide se retrouve seul avec lui-même, frustré ou mélancolique. C'est alors pour lui, s'il en a la sagesse, la chance de comprendre par lui-même.

Appuyé au tronc d'un pin, le visiteur, depuis les hauteurs, contemple le monde de poussières d'où il est venu. Le poète, cependant, pour ne pas troubler la pureté de l'atmosphère des cimes, ne parle qu'à demi-mot ou même ne dit rien. Il sait qu'on ne peut pas montrer l'esprit-bouddha ou le tao en montrant quelque chose. Et pourtant, par la magie de son art poétique, c'est ce qu'il fait.

page(s) 51
• Absurde d’opposer l’homme à la nature

À écouter, à lire les politiques, ceux qui savent, et même bien souvent parmi eux les écologistes, je vois que la pensée occidentale humaniste persiste à opposer l'homme à la nature. Voilà qui est non seulement absurde mais chaque jour plus insupportable, dès lors que l'on discerne combien c'est précisément cette pensée qui nous a fourvoyés et menés là où nous sommes.

Héritière d'une tradition dualiste opposant le corps et l'esprit, celle-ci continue d'aborder la crise contemporaine en la pensant de l'intérieur du même paradigme qui veut qu'il y ait d'un côté l'homme et de l'autre son environnement : voilà qui ne tient plus.

page(s) 9
• Retrouver notre condition cognitive originelle

[C]e que propose le bouddhisme, le salut ou éveil, en réalité […] procède […] d'une rupture épistémologique. L'éveil bouddhique ne consiste pas en l'acquisition d'une nouvelle connaissance, il est tout au contraire un renversement des bases habituelles de la cognition, ou plutôt s'agit-il du rétablissement de notre condition cognitive originelle, précédant une aliénation que nous avons configurée nous-mêmes à notre insu lors de la mise en forme de nos processus conceptuels, au cours de nos années d'éducation.

page(s) 5-6
• Un monde

Une citation mise en exergue par Kenneth White, dans Au large de l'histoire, m'a sauté aux yeux. Il s'agit d'une phrase tirée de l'Hypérion d'Hölderlin : « Ce que tu cherches, c'est un monde. » […]

Un monde. Qu'est-ce qu'un monde ? Un endroit où l'on pourrait vivre en accord avec ce qui vous entoure, ce qui est de moins en moins le cas à l'époque où nous vivons, pleine de conflits, de frustrations, de rage et de fureurs. Le titre, Au large de l'histoire, oppose au mythe du sens de l'Histoire une perspective spatiale, concrète et vague. La couverture du livre en propose d'emblée la métaphore, un phare dressé sur un ilôt rocheux, sur lequel se fracassent les lames d'une mer démontée. À la vaine agitation du monde de la temporalité, l'auteur oppose sa géopoétique – une poétique de l'espace. D'une stabilité, d'une fondation profonde dans le concret. Très bien.

C'est aussi Hölderlin qui a écrit : habiter la terre en poète. Dans le fond, ce que tout homme cherche, c'est un monde à habiter. Un monde dans lequel pouvoir vivre en fidélité à soi-même, à ce que l'on possède de plus précieux.

page(s) 15-16
• Le sourire du Bouddha

L'expression inconcevable de ce sourire [du Bouddha], il semble que si nous en comprenions pleinement la dimension intime, nous comprendrions la vérité du bouddhisme de bout en bout. Nous pressentons que si par contagion un pareil sourire pouvait éclore en nous, nous aussi connaîtrions l'illumination.

Le sourire du Bouddha, très certainement est une expression de l'éveil. Une expression de reconnaissance, intuitive et muette. Une reconnaissance qui serait aussi une libération. Une certitude tranquille, absolument complète, un accès. Le sourire du Bouddha suggère l'idée d'émanation d'une lumière intérieure, chaude et rassurante comme un feu de bois.

page(s) 17